Temps ordinaire, temps d’exception

Peut-on vivre notre foi aussi intensément maintenant qu'à Noël ? Oui, mais différemment, nous explique l'abbé Patrick Pégourier.

La vie de l’homme s’accomplit au cours d’une succession de cycles et de rythmes qui la structurent. Ce sont les jours, les nuits, les semaines, les saisons, et surtout l’année, référence essentielle et mesure primordiale du temps qui passe. De même, l’année liturgique représente le cycle annuel de l‘existence humaine et constitue le cadre temporel où l’Église commémore le mystère du Christ, Rédempteur de l’Homme. 

Lors de ces moments que l’on a coutume d’appeler des « temps privilégiés » (Avent, Noël, Carême, Pâques), elle insiste sur tel ou tel aspect du mystère du Christ  - son Incarnation, son œuvre rédemptrice … -. Pendant le « temps ordinaire », en revanche, elle le célèbre dans sa plénitude. Voila sa richesse.

Comment en tirer parti ?

Profiter de l’élan de Noël

Le rôle de ces moments forts est de « relancer » notre vie intérieure, de sorte qu’elle gagne en profondeur. Prenons un exemple : le temps de Noël, qui vient de s’achever, nous a rendu une conscience plus vive de la proximité de Dieu, nous a fait pénétrer la douce intimité de la Sainte Famille, grâce aux mises en scène de la Nativité : crèche, santons, etc.  

A présent, il nous est demandé de chercher des applications à notre désir d’aimer Dieu avec plus de finesse, de faire preuve d’initiative personnelle, de prendre appui sur les circonstances les plus courantes de notre existence pour nourrir un dialogue contemplatif soutenu. 

L’agent d’un grand magasin racontait comment, désireux d’ « habiller son cœur » afin de donner à son travail auprès de ses clients un plus grand rayonnement, il s’était proposé de prendre exemple sur les Rois Mages. Ceux-ci apportent en présents ce que l’on venait de loin se procurer jusque chez eux : l’or, l’encens, la myrrhe. Ils offrent de leur part le meilleur, et reçoivent beaucoup mieux : la reconnaissance et la bienveillance de l’Enfant-Dieu. Du coup, l’employé résolut d’apporter chaque jour à ses clients le meilleur des services qu’il pouvait leur offrir : un conseil adéquat pour un achat sans doute, mais aussi un encouragement, un sourire, un bon mot, une affabilité sereine en dépit de l’ambiance de tension…, autant de petites réalités modestes serties dans le tissu de l’ordinaire, mais qui permettent d’aimer en plénitude, et que la grâce convertit en un trésor à valoir dans l’éternité.

Au-delà de la routine et du relativisme

Le temps ordinaire est l’espace que nous propose la liturgie pour permettre au Christ de réaliser dans nos vies l’échange merveilleux où nous sommes régénérés (…) Il devient tellement l’un de nous que nous devenons éternels [1]. L’homme est, en effet, le champ que Dieu cultive. Son mode d’existence habituel est appelé à « se conformer à l’ordre normal des choses », celui instauré par l’Incarnation, qui l’habilite à « vivre dans l’Esprit » les vertus infuses, le commandement nouveau…, à rejeter les compromissions que désapprouve sa conscience et à s’extraire des habitudes mortes. 

Tels sont le sens et la portée du terme « ordinaire » : ils nous font comprendre que la présence actuelle du Sauveur s’inscrit dans l’aujourd’hui, maintenant, ici de l’histoire de chacun, et l’invite à rechercher une cohérence renouvelée dans ses engagements quotidiens concrets. Nous les chrétiens, nous n’admettons pas de double vie, nous maintenons dans notre vie une unité simple et forte dans laquelle se fondent et se mêlent toutes nos actions [2].

Avec ses dimanches – qui commémorent la totalité du mystère de la grâce – , ses féries et ses fêtes, le cycle ordinaire développe le mystère du Christ d’une façon progressive et en profondeur. C’est donc une voie de choix pour se laisser imprégner par les desseins du Salut. Dans cette optique, les normes liturgiques recommandent la lecture continue à la messe, et les pasteurs insistent souvent, pour qu’avant d’y assister, les fidèles lisent et méditent la lecture vétérotestamentaire correspondante ainsi que l’évangile qui en est l’accomplissement dans le Christ. Cette participation consciente, active et fructueuse [3] à la liturgie leur fait connaître un moment d’éternité qui les touche et configure structurellement leur biographie personnelle.

La réflexion sur le « temps ordinaire » de l’Église rejoint la « théologie du cœur » chère à saint Josémaria, la théologie du vécu, celle qui naît en quelque sorte dans la rue, au contact des réalités humaines, de la communion avec Dieu et avec les hommes, où moyen et fin se rejoignent jusqu’à ce que, le fidèle s’étant fait tout à tous, Dieu soit tout en tous [4]. Elle est une invitation à suivre l’exemple de la Vierge qui gardait fidèlement toutes ces choses en son cœur [5]. [1]Préface III de Noël.

[2]Quand le Christ passe, n° 126.

[3]Constitution sur la Sainte Liturgie du concile Vatican II, n°11.

[4]Cf. 1 Co 9, 22 et 15, 28.

[5]Lc 2, 51.