Près de Jean-Paul II

Entre autres souvenirs de Jean-Paul II, un me revient fréquemment en mémoire. Le Pape, au terme d'une longue journée de travail, reçut un jour quelqu'un dans ses appartements privés. La fatigue de Jean-Paul II était évidente, lorsqu'on le voyait s'approcher à pas lent. Après avoir salué le Saint-Père et lui avoir baisé la main, la personne en question lui dit, avec une familiarité filiale : « Très Saint-Père, vous êtes très fatigué… » Jean-Paul II lui répondit : « A cette heure, je n'ai pas le droit de n'être pas fatigué. Si je n'étais pas fatigué, cela voudrait dire que je n'ai pas accompli mon devoir ».

Je voudrais revenir à ces paroles, afin d'en approfondir la signification. Elles montrent, me semble-t-il, comment le Pape se perçoit lui-même. Pour lui, la responsabilité que Dieu a placée sur ses épaules passe avant toute autre considération. Sa santé et son temps, sa mission et sa vie appartiennent à Dieu, et pour Dieu, aux autres.

Piquées par une curiosité inspirée par l'affection et la foi, quelques personnes ont interrogé le Pape sur sa prière : en quoi consistait-t-elle ? Que disait-il à Dieu dans l'intimité de son coeur ? Jean-Paul II a répondu, en de telles occasions : « La prière du Pape a une dimension toute particulière. Le souci de toutes les Églises, qu'il porte dans sa pensée et dans son coeur, conduit le Pontife à accomplir chaque jour, par la prière, un pèlerinage à travers le monde entier. Se révèle ainsi une sorte de géographie de la prière du Pape. Celle des communautés, des Églises, des sociétés et aussi des problèmes qui assaillent le monde contemporain » (Entrez dans l'espérance, p. 51).

Pèlerinage par la prière. Prier pour les hommes et pour leurs problèmes. « Voyages » que Jean-Paul II réalise par « la pensée et par le coeur », afin d'accomplir sa mission de Pontife, de pont entre Dieu et les hommes. Telle est la prière du Pape, et on s'explique ainsi que ceux qui écoutent sa parole remarquent que sa voix n'est pas la énième voix de cette clameur publique qui parfois nous assourdit. Il n'est pas difficile de se rendre compte que le Saint-Père parle avec autorité: avec une autorité qui procède précisément de Jésus, de la Parole avec une majuscule, de cet Évangile qui ne passera pas, même si le ciel et la terre passeront (cf. Mt 5, 18). Car l'Église entière annonce Jésus-Christ.

A côté du Pape, des millions d'hommes se sentent unis par les liens de la foi, qui dépassent tout autre lien tenant à l'histoire et à la culture. A côté du Pape, on touche au mystère de l'Église comme famille de Dieu et de chaque homme et femme, en tant qu'enfant de Dieu. Elles ne mentent pas, ces images de foules, auxquelles Jean-Paul II nous a habitués au cours de ces vingt années: aucun leader n'a jamais réuni de telles foules. Ni la sociologie, ni la théorie de la communication ne suffisent à rendre compte du phénomène. Derrière les paroles et les gestes du Pape, derrière l'affection unanime — à la fois spontanée et profonde — qu'il suscite dans le monde entier, derrière l'espérance qu'il transmet aux hommes d'aujourd'hui, il y a un dessein de Dieu courageusement assumé et une histoire qui renvoie à Jésus-Christ.

Jean-Paul II, au jour anniversaire de son élection, parcourra un fois de plus le monde par la prière. Nous pouvons être entièrement sûrs qu'il priera pour nous et pour nos problèmes. En cette journée, les catholiques, et bien d'autres hommes de bonne volonté se souviendront également de lui dans leur prière, demanderont à Dieu pour le Saint-Père la joie et la paix. Et ils ressentiront le désir de rendre grâces pour la générosité avec laquelle il a exercé le pontificat au cours de ces vingt années.

Xavier Echevarria

Prélat de l'Opus Dei

Le Figaro