Pourquoi Dieu permet-il cette pandémie?

L’être humain se pose naturellement la question du « pourquoi ». Il y a des gens qui voient aujourd’hui dans la pandémie de Covid-19 un châtiment de Dieu pour tels ou tels péchés des hommes. Les choses sont plus complexes. Article de Mgr Guillaume Derville.

Il me faut d’abord avouer que je rejette instinctivement cette approche. Je n’ai pas souvenir d’avoir ressenti la peur de Dieu. Dans mon enfance, l’amour du « bon Dieu » se reflétait dans celui de mes parents. Avec le passage du temps, la conscience croyante de la paternité bienveillante de Dieu a grandi dans ma vie. C’est l’expérience de nombre de chrétiens. Cette expérience est toutefois bien loin d’être celle de tous. Notre éducation et nos sentiments religieux ont une influence sur notre appréciation de la réalité. Mais le ressenti personnel ne suffit pas. Les ailes de la foi et de la raison élèvent notre esprit afin qu’il porte un jugement chrétien sur les événements. La crainte de Dieu est ce don du Saint-Esprit qui fait rejeter ce qui peut offenser Dieu. C’est le vif désir de ne pas faire de peine à qui l’on aime. Ce don emplit le cœur d’un esprit d’adoration à l’égard de celui qui, dans le Christ, prend nos souffrances : l’Amour éternel un et trine.

Nos volontés libres rendent ce monde toujours plus complexe. Bon gré mal gré, nous sommes tous liés, bons ou mauvais, encore que la frontière entre le bien et le mal passe en chacun d’entre nous. Dans le mal, dont la possibilité est inévitable en raison de notre liberté et de notre solidarité d’êtres humains, nous ne sommes pas seuls, car nous sommes des êtres en relation. Nous n’avons pas d’explication au problème du mal ; c’est plutôt l’ensemble de la foi chrétienne qui y répond, dans les alliances successives de Dieu avec les hommes, jusqu’à la nouvelle et définitive alliance : l’incarnation, la croix, la résurrection et la Pentecôte[1].

L’arc-en-ciel de la paix

L’Ancien Testament révèle Dieu progressivement. Les genres historico-littéraires revêtent un caractère pédagogique ; dans un contexte de grande rudesse, comme celui de la Genèse, il y a une dynamique de dépassement[2]. Une période de corruption généralisée avait entraîné une punition universelle qui devint un moment de miséricorde. L’arc, tendu vers le ciel et non plus vers la terre, suggère l’idée de la paix que Dieu veut donner : aucune flèche ne peut plus se diriger vers la terre. L’arc touche le ciel et s’appuie sur la terre ; il symbolise la communication rétablie entre Dieu et l’humanité[3]. Le livre de l’Exode raconte comment, malgré tout, le peuple élu en arriva à adorer un veau d’or. Cette idolâtrie est le prélude à une étonnante conversation de Moïse avec Dieu. Les piliers de l’histoire du salut sont établis dans ce dialogue : alliance, péché, miséricorde. Dieu menace le peuple d’extermination, Moïse le supplie, il apaise le visage du Seigneur : « Pourquoi, Seigneur, ta colère s’enflammerait-elle contre ton peuple, que tu as fait sortir du pays d’Égypte par ta grande force et ta main puissante ? Pourquoi donner aux Égyptiens l’occasion de dire : “C’est par méchanceté qu’il les a fait sortir ; il voulait les tuer dans les montagnes et les exterminer à la surface de la terreˮ ? Reviens de l’ardeur de ta colère, renonce au mal que tu veux faire à ton peuple. Souviens-toi de tes serviteurs, Abraham, Isaac et Israël, à qui tu as juré par toi-même : “Je multiplierai votre descendance comme les étoiles du ciel ; je donnerai, comme je l’ai dit, tout ce pays à vos descendants, et il sera pour toujours leur héritageˮ ». La conclusion est laconique : « Le Seigneur renonça au mal qu’il avait voulu faire à son peuple » (Ex 32, 11-14).

Notre Père qui est aux cieux « fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, il fait tomber la pluie sur les justes et sur les injustes » (Mt 5,45). En d’autres termes, le Covid-19 aurait pu provoquer la mort d’un saint François d’Assise ou d’une Mère Teresa de Calcutta s’ils avaient été des nôtres. En revanche, les récompenses d’ici-bas n’augurent en rien la vie éternelle (cf. Zac 11,4 ; Mt 6,2-5 ; Lc 16, 19 sq.).

Un appel à la conversion

Lorsqu’un aveugle de naissance se trouva sur le chemin du Christ, « ses disciples l’interrogèrent : “Rabbi, qui a péché, lui ou ses parents, pour qu’il soit né aveugle ?ˮ. Jésus répondit : “Ni lui, ni ses parents n’ont péché. Mais c’était pour que les œuvres de Dieu se manifestent en luiˮ » (Jn 9,1-3). La guérison de l’aveugle sera une manifestation de la divinité de Jésus. Au chapitre 13 de saint Luc, deux événements contemporains du Christ provoquent une réponse claire de sa part. Certains parlent à Jésus d’une sédition contre l’Empire romain durement réprimée. Le Christ ajoute une allusion à la construction d’une tour à Siloé : « À ce moment, des gens qui se trouvaient là rapportèrent à Jésus l’affaire des Galiléens que Pilate avait fait massacrer, mêlant leur sang à celui des sacrifices qu’ils offraient. Jésus leur répondit : « Pensez-vous que ces Galiléens étaient de plus grands pécheurs que tous les autres Galiléens, pour avoir subi un tel sort ? Eh bien, je vous dis : pas du tout ! Mais si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous de même. Et ces dix-huit personnes tuées par la chute de la tour de Siloé, pensez-vous qu’elles étaient plus coupables que tous les autres habitants de Jérusalem ?Eh bien, je vous dis: pas du tout ! Mais si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous de même » (Lc 13, 1-5).

Jésus Christ n’explique pas la cause de cet accident du travail. Il s’est produit non pas que les ouvriers étaient tous méchants, mais en raison de causes variées : situation anormale, réaction inappropriée, absence de prévention des risques, manques de prudence. Ceux qui ont péri ne sont pas plus pécheurs que les autres. L’épisode de Siloé permet au Christ de délivrer un message, l’invitation à la conversion. Mais les malheurs ne doivent pas être attribués aux péchés de ceux qui en sont victimes. Jésus lui-même a fui le massacre d’enfants innocents, souffert la persécution d’Hérode, pleuré la décapitation de Jean-Baptiste.

La relation entre la condition de pécheur et le risque de mort était un thème prophétique courant et communément partagé au temps du Christ. Jésus encourage ses auditeurs à la conversion qu’il demande, s’ils veulent profiter des promesses évangéliques. Tout est un signe du Seigneur et, par conséquent, une occasion de revenir à Dieu : « Passons par toutes les étapes de l’histoire et nous verrons comment, à chaque époque, le Seigneur a donné l’occasion de se repentir à tous ceux qui ont voulu se convertir à Lui[4] ». Car Dieu « nous aime à la folie ![5] ».

De la misère à la miséricorde

Certes il y a dans notre société des actes graves qui offensent Dieu et sapent l’équilibre et l’épanouissement de la personne. Mais il faut redoubler de prudence à l’heure de relier un malheur à tel ou tel mal moral, comme s’il y avait là une volonté divine concrète de châtier des coupables. Le Seigneur nous donne l’occasion de nous repentir. Il ne veut pas le mal, mais il le permet en vue d’un plus grand bien. Un événement mauvais à vue humaine peut nous éloigner de la perte de la vraie vie, la vie en Dieu, la vie éternelle. « Je ne prends pas plaisir à la mort du méchant, mais bien plutôt à ce qu’il se détourne de sa conduite et qu’il vive. Retournez-vous ! Détournez-vous de votre conduite mauvaise. Pourquoi vouloir mourir, maison d’Israël ? » (Ez 33,11). Peut-on dire que plus l’humanité est corrompue plus elle souffre de différents maux ? Nous ne le pouvons pas au sens d’un châtiment immédiat. Dieu respecte l’ordre de l’univers qu’il a créé. Le désordre dans le monde est introduit par le péché de l’homme, mais les maux terribles qu’il produit ne sont pas toujours imputables à tel ou tel choix de l’un ou l’autre d’entre nous aujourd’hui ; ils plongent leur racine dans le mystère du péché appelé « originel ».

Dans l’ordre du monde, il y a la cause première, Dieu, et les causes secondes qui jouissent de leur autonomie. Quelles que soient les intentions et les responsabilités, l’occasion d’une réparation est offerte. Les péchés sont une injustice, un manquement grave à ce qui est dû à Dieu. La pandémie est donc du point de vue de Dieu, qui ne la provoque pas, mais la permet, un moyen de salut, un appel à la conversion.

Dans les circonstances actuelles, certains font volontiers appel aux messages de Fatima. Ils affirment certes une connexion entre les guerres et l’éloignement de Dieu. Comme l’écrit le cardinal Ratzinger, « le Malin a du pouvoir sur ce monde, nous le voyons et nous en faisons continuellement l’expérience ; il a du pouvoir parce que notre liberté se laisse continuellement détourner de Dieu. Mais, depuis que Dieu lui-même a un cœur d’homme et a de ce fait tourné la liberté de l’homme vers le bien, vers Dieu, la liberté pour le mal n’a plus le dernier mot. Depuis lors s’imposent les paroles : “Dans le monde, vous trouverez la détresse, mais ayez confiance ; moi je suis vainqueur du mondeˮ (Jn 16, 33). Le message de Fatima nous invite à nous fier à cette promesse[6] ».

Qui n’a besoin de se convertir ? Le chemin de la conversion va de la misère à la miséricorde. Saint Paul VI disait que « la misère humaine et la miséricorde divine se comprennent à la lumière du mystère pascal[7] » Nous marchons vers sa célébration en ces jours extrêmes, dans les mains de la Providence amoureuse de Dieu. Avec confiance, car « le nom de Dieu est miséricorde », nous faisons nôtre la prière du pape François le 27 mars place Saint-Pierre : « C’est le temps de réorienter la route de la vie vers toi, Seigneur, et vers les autres ». Que la Vierge Marie, Refuge des pécheurs et Consolatrice des malheureux, nous fasse revenir à Dieu !

Mgr Guillaume Derville


[1] Cf. Catéchisme de l’Église catholique, 309.

[2] Cf. Commission théologique internationale, Dieu Trinité, unité des hommes. Le monothéisme chrétien contre la violence, 6 décembre 2013.

[3] Cf. Commission biblique pontificale, Bible et morale, Les racines bibliques de l’agir chrétien, 11 mai 2008.

[4] Saint Clément de Rome, Ad Corinthios 7,5.

[5] Saint Josémaria Escriva, Amis de Dieu, 178.

[6] Joseph Ratzinger, Commentaire théologique au secret de Fatima, in Mémoires de sœur Lucie, Secretariado dos Pastorinhos, Fatima 2008, 242.

[7] Saint Paul VI, Audience générale, 14 avril 1976.