Revêtir le Verbe

« Le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous » : évènement merveilleux que l'Angelus rappelle quotidiennement et dont la contemplation est inépuisable, comme le montrent les illustrations de la Bible de Saint Louis présentées dans cet article.

Bas relief de l'Annonciation et le Mariage de la Vierge - Notre Dame de Vicel (Manche)

La solennité de l’Annonciation du Seigneur, rapportée après l’octave de Pâques, propose un gros plan sur le mystère de l’Incarnation : « Le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous » (Jean 1, 14). Le Père l’envoie, l’Esprit le vivifie. La Parole invisible devient protagoniste visible de l’histoire, le Verbe ineffable résonne dans notre langue. Dieu révèle sa Trinité vivante.

Le Fils unique, de la même nature divine que le Père et l’Esprit, s’est incorporé une âme et une chair comme les nôtres, dans l’unité indivisible de sa Personne. « Il s’est dépouillé, prenant la condition de serviteur, devenant semblable aux hommes, et, reconnu à son aspect comme un homme, il s’est abaissé, devenant obéissant jusqu’à la mort, à la mort sur une croix » (Philippiens, 2, 7-8). Un acte de rapprochement, qui scelle la nouvelle alliance ; un geste de miséricorde du Bon Pasteur qui se présente comme l’Agneau pur, prêt au sacrifice ; un dépouillement de la gloire divine, cachée dans un serviteur fidèle ; le Saint des Saints est encore enveloppé par le voile des fils d’Adam, jusqu’à ce que, sur la Croix, une lance le déchire.

La tradition, en faisant preuve de perspicacité, cherche à nous rapprocher de l’infini par des images : comme le mariage de l’Époux divin avec la nature humaine ; tel le vêtement assumé par le Verbe pour parcourir nos chemins terrestres ; en admirant la chair du Fils qui habille la nudité spirituelle des hommes ; le comparant au véhicule triomphal de sa rédemption. « Appelez la chair de Jésus-Christ un vêtement; appelez-la un char; appelez-la même une monture, comme dans la parabole du bon Samaritain » (saint Augustin, sermon 119,7). D’autres passages de l’Ancien Testament ont encore fourni l’occasion de l’exprimer.

Joseph, l’avant-dernier fils de Jacob, privilégié par des charismes de sagesse, avait été victime de jalousies et subi des humiliations à répétition : trahi par ses frères, frôlant la mort, devenu esclave, calomnié par la maîtresse de maison, emprisonné… Enfin, la main de Dieu le délivre et il obtient grâce du roi ; à la sortie du cachot, Pharaon lui offre, en remplacement des haillons, une tunique de grand prix : « Le Pharaon le fit habiller de fins vêtements de lin » (Genèse 41, 42).

Les Pères de l’Église ont rapproché ce don de la résurrection de Jésus ; une glose parisienne rajoute encore : « Pharaon qui fit habiller Joseph signifie le Père des cieux qui revêtit Jésus-Christ d’une chair de toute beauté dans le sein virginal (de Marie) » (Bible de Saint Louis, Paris, 1235, t. 1, f. 21 : © Moleiro, 2002). L’enluminure attenante montre Dieu le Père qui préside à l’annonce de l’archange ; sous le regard du Saint-Esprit, Gabriel dépose un bébé entre les bras de la Vierge ; de la main gauche, l’ange signale la terre, destination du Fils ; Marie, debout et caressée par son Fils, tourne le dos à son trône.

Dans les champs fertiles de Bethléem, une jeune glaneuse, convertie à la foi d’Israël, trouva grâce aux yeux de Booz, le riche propriétaire des champs. Pendant une nuit d’été, la fille se rapprocha du chef de clan et, selon le conseil de sa belle-mère, lui demanda protection : « C’est moi, Ruth. Déploie ton manteau sur ta servante » (Ruth 3, 9). Captivé, l’homme la choisit comme épouse. L’épisode a touché même l’imagination des poètes incroyants. Les Pères y ont vu un parallèle saisissant : humblement, l’Église vénère le mystère de l’incarnation (Raban Maur, Commentaire à Ruth, 10). Le commentateur parisien rajoute : « Booz signifie le Père des cieux qui étendit sur la sainte Eglise l’humanité de sa chair et la couvrit de son amour » (idem, f. 96).

La chair du Christ, qui enrobe sa nature divine, est aussi donnée en faveur de son Peuple saint. Dans l’enluminure explicative, Dieu le Père bénit un bébé, né de la Vierge Marie et confié à l’Église reine, tandis que la Synagogue incroyante s’en éloigne, séduite par Satan.

Nous pouvons demander « au Saint-Esprit de nous préparer à comprendre chaque geste et chaque expression de Jésus-Christ » (Saint Josémaria, Quand le Christ passe §83). La chair porte la sève du Verbe.

La solennité de l’Annonciation met en relief la miséricorde du ciel, ainsi que l’attente de la Vierge de Nazareth et sa réponse pure. Nous essayons de partager cette espérance croyante dans sa charité généreuse. Chaque jour, à midi, au zénith de la journée de travail, l’angélus résonne dans les clochers et dans les lèvres, en union avec nos frères. Les cœurs deviennent chœurs de louange. Chaque fuseau horaire ajoute une strophe à cette litanie de reconnaissance. Le Verbe souverain est accompagné de nos humbles refrains.

Abbé Fernandez