Le grenadier

Le symbolisme de cet arbre est riche : l'amour humain entre époux, l’amour de Dieu pour son peuple, les noces mystiques du Christ avec son Église. Le livre des Cantiques, comme les poètes grecs, romains et les poètes modernes, évoque ce symbole de la beauté et de l'amour.

« Voici L’Automne : un long baiser du soleil a roussi les étangs ; les lointains sont vermeils de feuillage » ! Automne chatoyant qui mêle « son or et sa pourpre aux dernières verdures restées vives, comme si des gouttes de soleil fondu avaient coulé du ciel dans l’épaisseur des bois ». Les feuilles qui commencent à tomber peuvent bien joncher les sentiers, « elles invitent à contempler, avec plus d’attention et de recueillement, ces splendeurs qui vont s’effacer. Alors tous les sentiments prennent une teinte de douce mélancolie, l’amour s’empare du cœur avec une puissance jusque-là inconnue » et, « sous les feux d’un soleil invisible et puissant, il se fait semblable à un fruit mûrissant »[1].

Ces vers de poètes modernes rejoignent l’inspiration des Grecs et des Romains qui ont fait de la grenade le symbole de la beauté et de l’amour.

Fruit magnifique, la grenade contient une pulpe qui entoure des graines comestibles. C’est en automne qu’elle atteint sa maturité. Elle vient de l’Iran et du nord-est de la Turquie et pousse dans les régions à climat méditerranéen. Les Romains, croyant qu’elle était originaire d’Afrique du nord, l’appelaient la « pomme punique » (punicum granatum). En réalité, le grenadier fut importé par les Phéniciens lors de la fondation de Carthage (814 av. J.-C.). C’est un arbuste longévif, aux feuilles brillantes en forme d’ellipses allongées et aux fleurs rouge-orangé qui ont toujours symbolisé l’ardeur amoureuse.

Selon la légende, le Troyen Pâris mit fin à la dispute entre les déesses grecques Héra, Athéna et Aphrodite pour savoir qui était la plus belle en offrant une grenade à la dernière.

Dans le livre desCantiques, de par l’harmonie de ses formes et sa couleur passion, elle évoque l’amour humain entre époux, l’amour de Dieu pour son peuple, les noces mystiques du Christ avec son Église. Ce recueil de poèmes manifeste la délicatesse des sentiments de l’Époux pour sa Bien-aimée. Car si la grenade attire l'attention, elle ne laisse voir que son enveloppe extérieure, et non la pulpe transparente cachée sous l'écorce du fruit : son intérieur est voilé. De même la joue de l’épouse sous son voile : Comme un ruban d’écarlate, tes lèvres ; tes paroles, une harmonie. Comme une moitié de grenade, ta joue au travers de ton voile [2].

L’Ancien Testament voit aussi en elle une image de la gloire céleste. C’est pourquoi elle décorait les rouleaux de la Thora.

Par ailleurs, les prêtres de Yahvé revêtaient dans l’exercice de leurs fonctions des vêtements sacrés qui reflétaient la dignité du culte, et notamment l’éphod, sorte de « dalmatique », par-dessus leur robe. Celui du grand-prêtre était de broderie, fait d’un tissu de différentes couleurs très-riche, composé d'or, de pourpre violette et écarlate, de cramoisi et de fin lin retors, où étaient enchâssées des pierres précieuses…[3] Le bord inférieur de sa tunique était garni de grenades de pourpre violette et écarlate entremêlées de clochettes d’or … qui tintaient à chacun de ses pas, se faisant entendre dans le Temple [4].

Elle servit aussi de motif décoratif pour rehausser la splendeur de celui-ci : le roi Salomon fit couronner les chapiteaux en forme de fleur des deux colonnes de bronze qui se dressaient devant le vestibule, de chaque côté de l’entrée, de deux rangées de grenades serties en treillis [5].

Symbole de la fécondité de l’amour d’où naît la communion fraternelle

Le symbolisme de la grenade relève de celui, plus général des fruits à nombreux pépins : celui de la fécondité.

L'arbuste tout entier, en raison de ses fleurs rouges parfumées, était dans l’Antiquité comme une incarnation de l'amour, du mariage… et de la postérité désirée. À Rome, on en tressait des couronnes portées par les mariées le jour de leurs noces. La Mystique chrétienne a transposé ce symbolisme au plan spirituel. C'est ainsi que saint Jean de la Croix fait des petits grains de la grenade renfermés dans leur enveloppe circulaire le symbole des effets innombrables des perfections divines : « Leur figure ronde exprime l'éternité de Dieu qui n'a, comme le cercle, ni commencement ni fin »[6].

Dans la grenade, les Pères de l’Église voient l’ecclesia : la communauté des croyants regroupée autour de Jésus et baignée en son sang rédempteur ; les membres du Peuple de Dieu serrés dans la main blessée du Semeur divin, unis sous une même écorce comme Corps du Christ. En effet, le rouge vif de chacun des grains symbolise le sang et la vie répandue, et la couleur du suc que l’on tire de la grenade fait écho à la Passion du Seigneur.

Les grains multiples, regroupés dans une enveloppe unique, ne renvoient-ils pas aux fidèles soudés dans une même foi ? Et l’image de la grenade éclatée, ses grains autour d’elle éparpillés, n’est-elle pas pour eux une allégorie de la multiplicité des dons divins offerts avec générosité, du partage, et de la charité ? Une invitation à répondre, comme la Bien-aimée, à l’attente de l’Époux : Je te ferai boire un vin parfumé, ma liqueur de grenades [7]? « Si elle appelle siennes ces grenades ou connaissances élevées, bien qu’elles soient de Dieu, c’est que Dieu les lui a données ; les considérant comme son propre bien, elle les lui offre à son tour… de telle sorte que tous deux ensemble en ont la jouissance »[8].

À partir de la Renaissance, dans le domaine artistique, on compte de nombreuses Vierges dites « à la grenade » (Madone de Stuppach de Grünewald, Madone à la grenade de Lorenzo di Credi…),

dont l’une des plus célèbres est celle de Botticelli : Marie tient à la main le fruit que l'Enfant goûte pour symboliser, par sa couleur rouge, le sang qu’il versera lors de sa Passion.

La contemplation de la grenade entr’ouverte qui répand son nectar de toutes parts ne nous encourage-t-elle pas à ouvrir notre cœur à la bienveillance ? L’intuition providentielle du poète nous y engage : « C'est l'heure où le soleil blanchit les vastes cieux, et fend l'écorce d'or des grenades vermeilles »[9].

Bertrand Cauvin, expert forestier

Abbé Patrick Pégourier


[1] Mélange poétique : Cécile Sauvage / Guy de Maupassant / Alphonse Karr /Ondine Valmore.

[2] 4, 3.

[3] Ex 28, 6-9.

[4] Cf. Ex 28, 31-34. Si 45, 9.

[5] Cf. 1 R, 7, 42.

[6] Le Cantique spirituel, 36e strophe.

[7] Ct 8, 2.

[8] Saint Jean de la Croix ibid.

[9] Leconte de Lisle, Poèmes trag.,1886.