La communion spirituelle

« Celui qui me mangera vivra par moi » (Jean 6, 57). Les menaces de maladie ou de mort font naître au fond du cœur le désir de se tourner vers l’Auteur de la vie. Par l’isolement de ce qui est accessoire, Dieu met au premier plan ce qui est essentiel : la mémoire de l’Amour divin sans mesure, c’est-à-dire l’Eucharistie.

L’épidémie semble bloquer les fidèles dans leur piété eucharistique : elle empêche de participer à la célébration eucharistique, elle réduit la proximité avec la Présence sacramentelle et elle prive du Pain du ciel.

Le Sauveur, qui veut à tout prix rester auprès de nous, suscite ainsi l’envie de le recevoir : cette faim est spirituelle car elle est accordée par l’Esprit Saint. Le chrétien est un heureux affamé de justice ! La Sagesse assure que, dans cette vie, « ceux qui me mangent auront encore faim » (Siracide 24, 29).

Au milieu des incertitudes de santé, d’emploi du temps ou d’avenir, le Christ demeure tout proche. « La présence de Jésus vivant dans la sainte Hostie est la garantie, la racine et la consommation de sa présence dans le monde » (Saint Josémaria, Quand le Christ passe §102).

Ce signe suprême nous relie à un horizon indéfectible : « L'Eucharistie (…) porte à sa perfection la communion avec Dieu le Père, grâce à l'identification au Fils unique par l'action du Saint-Esprit » (N. Cabasilas, La vie en Christ, 4, 10). L’Eucharistie est un sommet accessible, d’abord par les ailes de la foi amoureuse, et ensuite par la communion au Corps du Christ.

Ne nous résignons pas à l’absence de célébration, mais réduisons les distances dans nos cœurs !

La communion spirituelle est un élan amoureux vers la Trinité. Elle nous est dictée par l’Esprit Saint, nous configure au Christ et proclame notre fierté filiale : « Abba, Père ! » (Galates 4, 6). Le Père donne le Corps du Fils, pétri par le feu de l’Esprit.

À ce propos, le 19 mars dernier, au cours d’une adoration eucharistique, le pape François proposait une belle prière. « À Tes pieds, ô mon Jésus, je me prosterne et je T’offre le repentir de mon cœur contrit qui s’abîme dans son néant et dans Ta sainte présence. Je T’adore dans le Saint-Sacrement de Ton amour, désireux de Te recevoir dans la pauvre demeure que T’offre mon cœur. En attente du bonheur de la communion sacramentelle, je veux Te posséder en esprit. Viens à moi, ô mon Jésus, pour que je vienne à Toi. Que Ton amour enflamme tout mon être, pour la vie et pour la mort. Je crois en Toi, j’espère en Toi, je T’aime. Ainsi soit-il ».

Déjà dans l’Antiquité, les Pères de l’Église témoignaient de l’intention de recevoir les sacrements. En temps normal, nous cherchons à fréquenter l’Eucharistie. En temps de « vaches maigres », comme c’était le cas à l’époque des patriarches (Genèse 41, 27), nous pouvons aspirer à la nourriture cachée dans les réservoirs de notre foi qui a soif de Dieu.

Paradoxalement, la pandémie apportera un surcroît d’énergie si nous puisons au dynamisme rédempteur. Dans l’Eucharistie, nous resserrons nos liens avec le Sauveur et avec nos frères. L’indifférence envers le Saint Sacrement deviendrait sur le plan spirituel un virus plus dangereux encore que le coronavirus. Ceux qui manquent de foi sont « privés de faim, car repus d’eux-mêmes », notait saint Augustin à propos de la promesse eucharistique (Sur l’évangile de Jean, discours 26 §1), En revanche, ajoutait-il, « si tu as la foi, non seulement tu te rapprocheras volontiers mais avec ardeur » (ibid. §4).

La tradition chrétienne a bien creusé la piste de l’intériorité dans le rapport avec l’Eucharistie : « un homme peut percevoir l'effet du sacrement s'il le possède par le désir, bien qu'il ne le reçoive pas en réalité » (saint Thomas d’Aquin, Somme Théologique, III, q.80, a. 1, ad 3). Le magistère de l’Église entérine cette option : ceux qui vont « manger par le désir le pain céleste avec la foi vive qui opère par la charité, en ressentent le fruit et l’utilité » (Concile de Trente, Décret sur l’Eucharistie, session 13, ch. 8).

De nombreux saints et docteurs en ont témoigné, la présentant comme un trésor méconnu, comme une prière appropriée à tous les temps. « Vous imprimerez ainsi en vous un amour profond pour notre Seigneur » (sainte Thérèse d’Avila, Chemin de Perfection, ch. 35). Un dévouement qui s’étendra aux proches, dans l’abnégation et le sourire. « Vous devez recevoir pour l'amour ce que le seul amour vous fait donner » (saint François de Sales, Introduction à la Vie dévote 2, 21).

Saint Alphonse-Marie de Liguori raconte que le Seigneur « fit voir à sœur Paola Maresca, selon ce qui est rapporté dans sa vie, deux vases précieux, l'un d'or et l'autre d'argent, en lui disant qu'il conservait dans le vase d'or ses communions sacramentelles, et dans le vase d'argent ses communions spirituelles. » (saint Alphonse-Marie de Liguori, Œuvres ascétiques, t. 6. Amour des âmes)

Le jour et la nuit sont orientés vers la rencontre du Sauveur. Notre indignité est accompagnée par une contrition sincère. L’âme assoupie rebondit par l’appétit eucharistique : cela « fait à l’âme comme un coup de soufflet au feu qui commence à s’éteindre, mais où il y a encore beaucoup de braise : on souffle et le brasier se rallume » (saint Curé d’Ars, Sermons).

Saint Josémaria apprit dans son enfance une ancienne formule, qu’il répandit par la suite dans le monde entier :

Je voudrais, Seigneur, te recevoir avec la pureté, l’humilité et la dévotion avec lesquelles ta très Sainte Mère te reçut, avec l’esprit et la ferveur des saints.

Dans sa vie sacerdotale, il témoigna d’une heureuse expérience : « tu auras davantage la présence de Dieu et tu lui seras plus uni dans tes actes » (Chemin, n°540). La pureté de cœur et l’humilité sincère font flamber la dévotion, comme celle de Notre Dame, saint Joseph et bien d’autres.

L’Église recommande à ses enfants cette pratique animée « d’une foi vive, un esprit respectueusement humble et confiant dans sa volonté, avec l’amour le plus ardent » (Pie XII, encycl. Mediator Dei, II). Après le concile Vatican II, l’insistance n’a pas faibli : « il est opportun de cultiver dans les cœurs le désir constant du Sacrement de l'Eucharistie. C'est ainsi qu'est née la pratique de la ‘communion spirituelle’, heureusement répandue depuis des siècles dans l’Église et recommandée par de saints maîtres de vie spirituelle » (saint Jean-Paul II, Encycl. Ecclesia de Eucharistia §34 ; Benoît XVI, Exhort. Sacramentum caritatis, §55).

La communion spirituelle nous unit à la Personne et à la mission du Fils éternel, elle nous tourne vers le Père, vers la sainteté de son Nom, de sa volonté et de son royaume ; elle ouvre l’âme au Pain céleste et aux besoins de nos frères, surtout des faibles ; elle guide vers la victoire et la persévérance finale. L’Eucharistie, recherchée avec droiture de cœur, configure au Christ et met au service de l’Église. Nous donnerons ce que nous portons. Dans la vie familiale, nous deviendrons du pain nourrissant et aimable pour les autres. La communion spirituelle est bonne à tous les moments d’une journée active ou confinée.

« Reste avec nous » (Luc 24, 29), supplièrent les disciples à Emmaüs. « Daignez demeurer avec moi, Seigneur : je désire ardemment être avec vous. Que tout mon cœur vous soit uni » (Thomas de Kempis, Imitation du Christ, 4, 13). C’est la demande d’un mendiant affamé : « Puissé-je, embrasé par votre présence, être transformé en vous, de sorte que je devienne un même esprit avec vous par la grâce d'une union intime et par l’effusion d'un ardent amour ! » (Ibid., 4, 16).

Le samedi 21 mars, pendant l’adoration eucharistique, le pape François a invité ceux qui restent confinés chez eux à cette heureuse dévotion :

« Mon Jésus, je crois que tu es réellement présent dans le Très Saint Sacrement de l’autel. Je t’aime par-dessus toute chose et mon âme te désire. Puisqu’à présent je ne peux pas te recevoir de façon sacramentelle, viens au moins spirituellement dans mon cœur. Et comme tu es venu, je t’embrasse et je m’unis entièrement à toi. Ne permets pas que je sois jamais séparé de toi ».

Abbé Antoine Fernandez