Homélie de Mgr Jachiet pour la Saint Josémaria

« Le Fils de Dieu par son Incarnation a sanctifié la vie humaine pour qu’au creux de cette vie, et non ailleurs, l’homme trouve le chemin de la sainteté et s’y livre tout entier ». Pour continuer de vivre la joie du 26 juin, nous proposons à votre lecture l’homélie de Mgr Jachiet, évêque auxiliaire de Paris, prononcée en l’Église Saint Honoré d’Eylau à Paris.

Mgr Jachiet, évêque auxiliaire de Paris

Nous venons ce soir écouter le Parole de Dieu et participer à l’Eucharistie au terme d’une journée de travail. Puisque c’est avec le Seigneur nous venons passer ce temps cela nous demande un effort, celui de sortir de nos préoccupations pour nous tenir en sa présence. Allons-nous pour autant faire totalement abstraction de ce que fut notre journée ? Au contraire nous la présentons dans cette Eucharistie. Emmenons dans notre prière vers le Seigneur nos collègues, celui qui s’est montré si coopérant et cet autre avec lequel nous ne nous sommes pas entendus. Présentons au Seigneur nos satisfactions et nos réussites de ce jour pour qu’elles lui appartiennent. Apportons lui aussi nos soucis pour les déposer en lui et le prier avec un esprit libre et confiant.

Alors cette Eucharistie sera le sacrifice de toute l’Église et contribuera à la transformation de ce monde et à notre conversion dans le travail en vue du Royaume de Dieu.

Incarnation du Salut dans la vie des hommes

Dans l’Évangile, Jésus appelle des pêcheurs sur leur lieu de labeur, dans leur barque chargée de poissons. Nous voyons des hommes occupés à laver leurs filets mais qui sont saisis par la Parole de Dieu à travers l’enseignement de Jésus. Ils entrent alors dans une disposition d’humilité devant Jésus, l’envoyé de Dieu, et lui obéissent : « Sur ton ordre, je vais jeter les filets ». Ni la fatigue d’une nuit de pêche, ni le sentiment d’inutilité de pêcheurs aguerris de tenter une nouvelle sortie n’arrêtent Simon Pierre. Il décide de faire confiance à Dieu même dans l’exercice de son travail.

C’est là, parmi les filets et les poissons, que sa vocation lui et révélée. La réalité de son quotidien d’artisan pêcheur devient le langage de l’appel de Dieu. Il voit que là où l’art de la pêche n’a rien obtenu, la Parole de Dieu a donné en abondance. Cette abondance grouillante de poissons ne peut être que le signe du Royaume de Dieu. Pierre comprend ce langage très personnel : le pêcheur de poissons va devenir pêcheur d’hommes pour la Vie éternelle.

Écoutons le Seigneur nous parler dans ce que nous faisons car son appel est personnel.

Pourquoi Jésus vient-il chercher Matthieu à son bureau de publicain et Simon-Pierre dans sa barque ? Il ne s’agit pas de ruse pour le recrutement mais de la révélation du Salut.

Dieu, qui n’est limité par rien, aurait pu apporter le salut aux hommes de bien des manières. Il a voulu que le Verbe se fasse homme afin que l’homme soit divinisé. Dieu a envoyé son Fils dans notre condition humaine pour que là où il est l’homme trouve son salut.

Notre expérience de l’isolement et du confinement depuis plus d’un an a conduit bien des gens à un examen de conscience de leur vie ordinaire. Certains sont partis au vert, d’autres ont repris la lecture… Avons-nous mis à profit cette expérience ? Avons-nous pris conscience que si notre rythme quotidien n’est pas assumé dans la liberté spirituelle, s’il n’est pas habité de moments de prière et d’actes de charité, il devient vite la pire des routines.
« Là où sont vos frères les hommes, mes enfants, là où sont vos aspirations, votre travail, vos amours, là se trouve votre rencontre quotidienne avec le Christ. C’est au milieu des choses les plus matérielles de la terre que nous devons nous sanctifier, en servant Dieu et les hommes » prêchait saint Josémaria (8 octobre 1967).

Le Fils de Dieu par son Incarnation a sanctifié la vie humaine pour qu’au creux de cette vie, et non ailleurs, l’homme trouve le chemin de la sainteté et s’y livre tout entier.

Le travail transfiguré dans l’Esprit Saint

Dans la langue française, il y a au moins 3 familles de mots pour désigner ce que nous appelons couramment le travail, l’activité humaine de production et de subsistance :

L’œuvre, opus, on insiste sur l’initiative humaine, la création. Le modèle est l’artisan.

Le labeur qui insiste sur la pénibilité de retourner la terre. Le modèle est le laboureur.

Le travail qui vient de « soumettre au trepalium », un instrument de torture. Ce mot, au départ, désigne la servilité d’une tâche contrainte par autrui. Le modèle est l’esclave.

Ces 3 approches du sens du travail se retrouvent dans l’Écriture.

A la création « Dieu conduisit l’homme dans le jardin d’Eden pour qu’il le travaille et le garde » (1ère lecture) L’homme est chargé de protéger et de prolonger l’opus du Créateur.

Après le 1er péché Dieu dit à l’homme : « C’est dans la peine que tu tireras du sol ta nourriture, tous les jours de ta vie. » (Gn 3, 17) Notre condition de pécheur nous montre le travail en premier comme un labeur, une peine de devoir labourer sans cesse.

Enfin le peuple en Égypte subit la férule de Pharaon « Les Égyptiens soumirent les fils d’Israël à un dur esclavage » (Ex 1, 13) Le travail devient une servilité imposée par un tyran.

En résumé le travail peut être vu comme une activé créative, comme une tâche pénible accomplie par nécessité ou comme un tourment infligé à l’esclave !

Qu’est-ce qui permet au chrétien de poser un regard juste sur son travail, de le choisir et de l’accomplir comme un chemin de sanctification et non comme un esclavage ?

« Vous n’avez pas reçu un esprit qui fait de vous des esclaves et vous ramène à la peur ; mais vous avez reçu un Esprit qui fait de vous des fils » nous dit l’Apôtre (2ème lecture). Seul l’Esprit Saint que nous avons reçu peut nous ouvrir les yeux. Il nous fait découvrir la valeur spirituelle du travail et décider en conscience ce que nous devons en faire :

Rejeter celui qui est indigne ou immoral, l’esclavage. Transformer celui qui est inutilement pénible ou humiliant. Accueillir celui qui peut, à travers l’effort, contribuer à la sanctification de l’homme et la transformation du monde dans le respect de la volonté de Dieu, l’opus qui est coopération avec le Créateur.

Avant le Concile Vatican II et l’encyclique Laborem Exercens de saint Jean-Paul II, saint Josémaria, prophète en la matière, a développé une spiritualité du travail comme opus :

«Le travail est une réalité magnifique (…) que Dieu nous confie sur cette terre (...) en nous associant à son pouvoir créateur, afin que nous gagnions notre nourriture tout en récoltant du grain pour la vie éternelle». (St Josémaria, 6 février 1960)

Cette perspective peut nous paraitre certains jours bien idéale et loin des contingences. Demandons à une sainte femme du XVIe siècle de nous rappeler comment on devient saint :

« Mes filles, quand l'obéissance vous occupera aux choses extérieures, ne vous en affligez pas. Et si c'est à la cuisine qu'elle vous emploie, comprenez bien que Notre Seigneur est là, au milieu des marmites, qui vous aide et à l'intérieur et à l'extérieur » (Sainte Thérèse d’Avila Fondations V, 8) Oui, le Seigneur vient à notre aide dans le travail quotidien, à l’intérieur et à l’extérieur : soit dans notre disposition intérieure, soit dans l’enchainement providentiel des événements.

Le Seigneur vient à notre aide dans notre travail à condition que nous lui laissions une place. Demandons, par l’intercession de saint Josémaria que nous fêtons, que nous soyons rendus capables de reconnaitre la présence du Seigneur au milieu de nos tâches quotidiennes afin qu’il fasse de nous ses apôtres, humbles et audacieux, auprès de nos frères pour que s’accomplisse la pêche miraculeuse de son Royaume.

+Denis Jachiet

À lire également :

L’homélie de Mgr Guillaume Derville, prononcée pour la fête de saint Josémaria en la cathédrale Saint-Louis de Versailles.