Un concert pour la paix

Au printemps, un concert au centre Garnelles réunissait Juifs, Musulmans et Chrétiens pour soutenir un projet en Terre Sainte. Morad EL HATTAB, français de confession musulmane, s’est investi personnellement dans cet événement. Il nous raconte cette expérience qui l’a profondément marqué.

par Morad EL HATTAB

On oublie trop souvent –ou on méconnaît- que religion est un mot emprunté au latin religio, dont l’étymologie est incertaine, mais que les penseurs chrétiens ont rattaché au verbereligare, qui signifie relier. Entrer en lien avec son prochain constitue, pour tout chrétien, juif ou musulman, une forme de fraternité, plus ou moins consciente ou affirmée, mais bien réelle. Les moments de grâce s’inscrivent dans cet élan –oui, cette décision collective qui intervient quand il n’y a obligation de rien ou que certaines situations prédisposent au contraire- et cette volonté de créer un égrégore où chacun apporte ce en quoi il est unique, afin que naisse une vérité : celle de l’attraction newtonienne vers la paix.

Entrer en lien avec son prochain constitue, pour tout chrétien, juif ou musulman, une forme de fraternité

De quoi s’agissait-il, le 26 mars dernier, au centre Garnelles ? Précisément, de paix. Une paix en action, celle qui prévaut à la construction du projet Saxum, qui a pour vocation d’être à la fois un centre spirituel, un havre d’accueil des pèlerins en route vers Jérusalem et un centre historique Multimédia. Il revenait donc aux interprètes du concert donné en faveur de ce projet, de mettre en sonorité l’errance, cette noble incertitude qui est le signe du Cherchant, celle qui est attente de toit et de toi, et que le poète Heinrich Muller et Frantz Schubert, l’un des plus grands génies musicaux, ont su illustrer et porter à un point culminant d’humanité.

Non seulement il n’existait plus que des êtres humains, mais ils étaient heureux, éprouvant ce bonheur à la fois simple et empli de majesté qui est issu du partage. Nous n’étions déjà plus les mêmes après le premier chant : Gutte Nacht.

Les vingt-quatre mélodies du Voyage d’Hiver ont été interprétées, dans les locaux du centre culturel Garnelles, dont l’Opus Dei assure la formation chrétienne, par deux artistes juifs, père et fils ; les deux récitants, qui présentaient chacune des intenses partitions portant des textes denses, étaient l’un, musulman (l’auteur de ces lignes), l’autre, chrétien.

Non seulement il n’existait plus que des êtres humains, mais ils étaient heureux, éprouvant ce bonheur à la fois simple et empli de majesté qui est issu du partage. Nous n’étions déjà plus les mêmes après le premier chant : Gutte Nacht. Cette « bonne nuit » signe la détresse de l’abandon, cette peine universelle que peut éprouver chacun de nous à un ou plusieurs moments de sa vie. Jusqu’à la dernière mélodie, où le joueur de vielle, ce Leirmann rejeté, épuisé –ne s’agit-il pas ici du Christ en Croix ?- n’est plus que voix brisée, les étapes du calvaire solitaire sont marquées par le bouillonnement de la colère, l’épuisement, la peur, l’hallucination et cet apparent renoncement qui est infini pardon parce que compréhension du monde.

Nulle fatigue, nulle lassitude sur les visages et dans les âmes : l’art réunit dans la multiplicité de ses perceptions car il nous renvoie à notre vérité, qui n’est garantie que par le triomphe in fine de la paix. Si la voix montre la voie, les sonorités d’un piano, orchestre sobre et enchanteur, inscrivent dans le cours du temps l’harmonie des accords.

Le Compositeur et les interprètes ont en effet pour fonction d’offrir une harmonie universelle, dès lors qu’ils se fondent dans un ensemble de notes qui s’aiment

Si Mozart pouvait définir le secret de son génie comme le fait de mettre ensemble les notes qui s’aiment, je crois urgent d’inscrire nos vies sur une portée, précédée d’une clé commune. Le Compositeur et les interprètes ont en effet pour fonction d’offrir une harmonie universelle, dès lors qu’ils se fondent dans un ensemble de notes qui s’aiment.

C’est aussi cela, le Projet Saxum.