Homélie de M. le Cardinal Marc Ouellet archevêque de Québec

Basilique-Cathédrale Notre-Dame-de-Québec Fête de Saint Josémaria Escriva de Balaguer y Albas

M. le Cardinal Marc Ouellet Archevêque de Québec

« Si nous sommes enfants, nous sommes aussi héritiers : héritiers de Dieu et cohéritiers du Christ, puisque nous souffrons avec lui pour être aussi glorifiés avec lui» (Rom 8, 17)

Frères et sœurs,

Le 26 juin 1975, Saint Josémaria Escriva entrait dans la paix du Seigneur, au terme d’une vie sacerdotale très féconde dont la sainteté et l’influence ont été très vite reconnus par l’Église. Cette rapidité étonnante s’explique par la réputation de sainteté qui accompagnait ce prêtre déjà de son vivant, mais elle dépend aussi et plus encore de l’actualité de son message. Saint Josémaria a été un prophète de l’appel universel à la sainteté dans l’Église et un pionnier de la mise en valeur de la mission des laïcs au cœur du monde; il a enseigné concrètement et efficacement la vocation des laïcs à la sainteté dans la vie ordinaire par la sanctification de leur travail. Il a proclamé ce message longtemps avant le Concile Vatican II qui l’a rendu officiel, permettant ainsi à l’Opus Dei et à beaucoup de mouvements de laïcs de répandre un nouveau souffle de spiritualité dans l’Église.

Ce message remonte à la création de l’homme et de la femme dont parle le livre de la Genèse : « Le Seigneur Dieu prit l’homme et le conduisit dans le jardin de l’Éden pour qu’il le travaille et le garde ». Le travail humain n’est pas un châtiment, il est un lieu de croissance, de service et d’union à Dieu. Dès le début de sa vie sacerdotale, Saint Josémaria reçut, par touches successives, les éléments essentiels de sa fondation, l’Opus Dei, l’œuvre de Dieu. Il vit d’abord une foule immense appelée à tendre à la sainteté dans la vie ordinaire; puis, un jour qu’il priait, il fut saisi par le Nom de Dieu : Abba, Père! et cette intuition profonde de la paternité divine lui inspira d’enseigner la manière de s’unir au Christ dans l’accomplissement du travail et des tâches quotidiennes de la famille; enfin, autre trait saillant de sa vie et de son œuvre, l’amour de l’Église et la fidélité exemplaire au successeur de Pierre.

Ces quelques traits non exhaustifs configurent la spiritualité et la physionomie de l’Opus Dei qui est une grande famille d’enfants de Dieu au milieu du monde. Ils expliquent le style et l’efficacité discrètes de sa présence au monde. Les membres de l’Opus Dei sont discrets mais ils ne se cachent pas. Ils prennent au sérieux les problèmes du monde dans lequel ils vivent et où ils se voient comme un levain dans la pâte. Pour que la pâte lève par la force du témoignage, ils savent cultiver une vie spirituelle intense dans leur activité séculière, en prenant les moyens de se donner une vie de contemplation et une formation continue, même au plan intellectuel. La connaissance profonde de la pensée de l’Église leur permet ainsi d’exercer une influence durable et cohérente, notamment dans les débats éthiques qui traversent nos sociétés. N’est-ce pas qu’un tel témoignage évangélique fait cruellement défaut aujourd’hui dans nos milieux? L’actualité politique nous en donne, hélas, bien des exemples lamentables.

Le récit de la pêche miraculeuse illustre bien l’esprit d’obéissance de Saint Josémaria, émule de Saint Pierre : « Maître, nous avons peiné toute la nuit sans rien prendre; mais sur ton ordre, je vais jeter les filets ». L’obéissance à Dieu est toujours possible, même au cœur des situations les plus complexes où le succès est le plus improbable : « Sur ta parole je vais jeter les filets ». Et après le miracle, Jésus dit à Simon, atterré : « Sois sans crainte, désormais ce sont des hommes que tu prendras ». À voir les foules qui se pressaient sur la place Saint Pierre de Rome pour la béatification et la canonisation de Saint Josémaria, on peut dire qu’il a été largement béni de plusieurs pêches miraculeuses. Et ses grands coups de filets ne font que commencer. Remercions Dieu d’avoir donné un tel prêtre à l’Église.

Permettez-moi d’évoquer, à votre surprise peut-être, une de ses prouesses œcuméniques, dont j’ai été témoin et qui porte à réfléchir sur l’avenir de l’œcuménisme. Le 7 octobre 2002, lendemain de sa canonisation, la foule immense se rassembla de nouveau sur la place Saint Pierre pour l’audience avec le Saint Père, au terme de laquelle j’eus le bonheur d’accompagner le patriarche orthodoxe Théoctist qui venait rendre visite au pape, en retour de la visite historique que Jean Paul II avait accomplie trois ans plus tôt en Roumanie, sa première dans un pays à grande majorité orthodoxe. Comme c’était beau de voir depuis le pinacle de sa gloire, saint Josémaria s’effaçant un instant pour laisser l’immense ovation saluer ce patriarche orthodoxe qui n’en revenait pas d’être ainsi accueilli à Rome.

Quant à la pratique de l’œcuménisme, le saint fondateur indique par son message une voie féconde pour l’avenir. Plus que les commissions, les dialogues officiels et les relations diplomatiques, ce sont les saints qui refont l’unité de l’Église. Les saints qui inspirent la piété populaire, comme Saint François d’Assise et Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus; mais aussi les saints contemporains qui entraînent tout un peuple à la sainteté, les saints qui rendent la sainteté populaire et courageuse, comme Saint Padre Pio, Mère Teresa de Calcutta et Saint Josémaria Escrivà. Puissions-nous suivre leur exemple, par une culture populaire de la sainteté et nous verrons s’ouvrir autour de nous et entre les Églises chrétiennes des chemins nouveaux de réconciliation et d’unité, à partir des peuples sanctifiés.

« Chercher le Christ, trouver le Christ, Aimer le Christ », voilà résumée avec ses propres mots, la vie si belle et si féconde de Saint Josémaria Escrivà. Puissions-nous répandre son message et invoquer son intercession, afin que fleurisse partout l’idéal de la sainteté et que l’Opus Dei glorifie Dieu à la manière de son fondateur, en s’effaçant comme lui pour n’indiquer finalement que l’œuvre du Christ. Amen.